a little bit messy, a little bit ruined, a beautiful disaster (délai 16/07)

♢♢ all the past is just a lesson that we've learned.
Elle ne se sent pas à son aise, à l'étroit. Elle ne sait pas ce qui ne va pas chez elle. Elle sait qu'il y a un problème dans sa tête, pas uniquement parce qu'elle passe des journées penchées sur un bouquin. Apparemment, sa tendance à tout faire après les autres n'est pas très sécurisante.  Elle a dû ma, ce n'est pas de sa faute si elle ne gère pas ses accomplissements en même temps que les autres élèves. Sa mère a fini par s'inquiéter pour sa fille et il a été décidé que voir un psychologue ne pourrait que lui faire du bien. Sa mère espère surtout que ça détendra son esprit, qu'elle ne lui reprochera plus d'être une traînée, ouvrant les jambes dès qu'une occasion se présente à elle. Elle dégoutte Jules. Elle la dégoutte tellement, plus que ce que l'on peut l'imaginer. En s'installant sur le divan, Jules jauge du regard son psychologue, se demandant en quoi il peut l'aider, se demander si elle a vraiment besoin d'aide. Elle n'est pas parfaite, elle est la première à l'avoir remarqué mais lui éviter d'avoir un psychologue, lui éviter d'être traité de folle dans la cour de récréation aurait été préférable. Rien que pour son bien-être psychologique.

Dès qu'elle entre dans le cabinet, le bureau, Jules sent son psychologue la scruter de toute part. Elle n'a jamais envie de lui parler. Tout devient toujours gênant avec lui. Leur relation n'est en rien amical, il est bien heureux de pouvoir se faire de l'argent en n'ayant rien à faire d'autres que de devoir l'écouter. Il connait tout de sa vie, les moindres secrets. Pour tout dire, il la connait mieux que personne, mieux que sa propre famille, mieux qu'elle-même. Pourtant, étrangement, exceptionnellement, elle a envie de lui parler, pour une fois. Elle n'a pas toujours que de bonnes choses à lui dire, il faut saisir l'occasion. « Ma mère m'a parlée de mon père, et je l'ai rencontré. » Un rictus forme le visage du psychologue. Il peut lui dire que c'est le bon chemin vers la paix avec sa génitrice. Jules ne sait pas si elle pourra parvenir jusque là. Même si après insistance, sa mère a su se souvenir de plus en plus d’éléments concernant le père de sa fille, Jules aurait tout de même avoir une figure paternelle pour la voir grandir, pour l'aimer. Mais, maintenant qu'elle a retrouvé son père, ça reste une possibilité. S'il se montre bon avec elle, s'il se comporte en père avec elle, elle pourra être heureuse, et éventuellement oublier la frustration avec laquelle elle a été élevé, mais elle ne compte pas trop dessus. Elle aurait tout donné pour le rencontrer avant. Elle aurait accepté d'avoir un autre père, sans que ce soit le sien, celui d'un membre de sa fratrie mais sa mère n'a jamais passé beaucoup de temps avec les géniteurs de chacun de ses enfants. « Et comment a-t-il réagi? » Evidemment. Quelle idiote, naïve. Les rares fois où un sourire s'affiche sur son visage durant leur séance, son psychologue semble déterminé à ne pas laisser ce moment de bonheur durer. A croire qu'il faut être malheureux pour être digne de se trouver dans la même pièce que lui. Pendant un instant, ses yeux se baissent sur les dernières chaussures à la mode qui lui font mal aux pieds - elles sont trop petites pour elle, il n'y en avait pas à sa taille en magasin mais elle voulait avoir les mêmes que tout le monde pour pouvoir se mélanger dans le bain - puis relève la tête, avec une voix à peine tendue. « Je ne lui ais pas dit, je l'ai approché à une conférence, en inventant une histoire de travaux. » Ca ne marchera peut-être pas, peut-être qu'il finira par la rejeter, peut-être qu'elle devrait lui dire qu'elle est sa fille mais elle sait qu'il la rejetterait. S'il voulait d'une progéniture, ce n'est pas avec la mère de Jules qu'il aurait eu des rapports sexuels.

La honte est un sentiment que Jules n'a jamais ressenti. Malgré un manque de confiance, ou son comportement de perfectionniste attardée, elle n'a jamais eu aucune raison de se sentir honteuse. Il y a une première fois pour tout, après tout. Jules sait ce qu'il se passera si elle le montre. Elle sait que son psychologue l'analysera, s'il ne la juge pas. Alors, elle arbore un grand sourire, une joie qui n'est pas non feinte, bien réelle, même si une certaine honte d'elle-même n'est pas loin de la gâcher. Lorsqu'il lui demande quelles sont les nouvelles, elle annonce fièrement. « J'ai trouve un travail d'assistante d'édition chez Abbott Publishing! » Elle sourit, un sourire qu'il lui rend. Elle a réussi à faire quelque chose, soit-disant par elle-même, sans avoir un temps de retard. C'est un exploit. « Je suis très content pour toi, ça te permettra d'avoir davantage de contact avec ton père. Ca s'est passé par entretien d'embauche? Je suis curieux de savoir. » Mentir à une personne qui nous connait depuis notre enfance, qui connait le moindre de nos petits secrets, nos parts les plus sombres. Ce n'était peut-être pas la meilleure idée qu'elle n'ait jamais eu. Elle se sent nerveuse, mal à l'aise, elle ne va pas y arriver. « Disions que j'ai obtenu le job d'une manière pas très conventionnelle. » Elle ne baisse pas la tête mais si elle avait encore quinze ans, elle le ferait. Son psychologue lève un sourcil, attendant de plus ample explication, gribouillant quelque chose sur un carnet. Jules s'est toujours demandé s'il écrivait vraiment quelque chose d'utile ou si c'est juste une tentative de faire parler le patient. « Développe. » Son mot favori. Dès qu'elle limite ses mots, il est sa réponse magique. Ca ne lui ferait pas mal de se renouveler, de donner un peu de surprise dans leur quotidien. « Disons que j'ai eu une, hum, relation avec celui qui m'a employé, sans vous faire un dessin. » Au lieu d'un commentaire, il se contente d'un rictus presque moqueur. Très professionnel, vraiment.

Jules arrive en trombe dans le bureau du psychologue, plus qu'à l'habitude. Pendant un instant, elle tourne en rond dans la petite pièce, tandis qu'il la détaille des pieds à la tête. Puis après plus d'une minute à faire le même parcours, comme un lien en cage, elle se décide à s’asseoir et déclare, comme s'il était trop stupide pour s'en être aperçu par lui-même: « C'est la merde. Cette fois, je suis vraiment dans la merde. » Elle entend son psychologue tenter de la calmer, de la consoler. A croire qu'il faut être au plus bac pour ne pas avoir à subir son habituel développe. Mais cette fois-ci, elle est mal. Jules est responsable de ce qui lui est tombé dessus, pas la seule mais elle n'est pas étrangère à ce qu'il se passe autour d'elle. Si elle s'était contentée de la vérité, elle n'en serait pas là aujourd'hui. Elle prend son courage à deux mains pour répondre à son psychologue de ce qu'il est arrivé. « Le père de Mason est mort. » Pendant un instant, il a l'air confus, pour la première fois, c'est très étrange, elle a dû à déchiffrer son visage. « Je suis désole, toutes mes condoléances pour lui, comment va-t-il? » Elle lève les yeux au ciel, inutile de faire semblant. C'est devenu normal, qu'ils aient des pères différents. Bien que, contrairement au sien, le paternel de Mason ait pris en compte de son existence, on ne peut pas dire qu'il fut un père exemplaire, ou qu'il manquera à qui que ce soit. « Il n'a pas vraiment à s’inquiéter. Cet abruti égoïste a décidé de lui léguer tout ce qu'il avait, tout son héritage. »  Elle sent les yeux ronds de son psychologue la fixer, ils savent tous les deux ce que ça signifie. Elle se retrouve piégée entre son frère et l'un de ses plus proches amis. Il fallait qu'ils partagent le même père. Evidemment, Jules n'a jamais trouvé d'intérêt à leur en faire part mais aujourd'hui ils savent, ils savent qu'elle est une sale petite menteuse hypocrite. Le mieux serait qu'elle reste loin de Javen. Avec la perte de son bras, il n'a pas besoin qu'elle lui tourne autour, lui rappelant sans cesse que son père a préféré à un étranger à lui.