she walks in beauty.

alma mendoza.

the working ants refuse to pay to save the sloths economy.

surnom(s) alma, c'est bien assez court comme ça. âge et signe astrologique vingt-six ans, soit, statistiquement, moins d'un tiers de son espérance de vie. et elle est vierge, pour ce que ça vaut. origines péruviennes et chiliennes. mapuches, pour être exact. situation familiale ça va, elle ne s'en sort pas trop mal, pour une libraire indépendante. il faut dire aussi que son blog commence à lui rapporter, un peu. c'est de l'ordre de $$. enfant pourtant, c'était pas encore trop ça. son père il est mécano, il travaille les belles vieilles bécanes. sa mère, elle, elle est coiffeuse. elle a de la chance qu'ils l'aient laissée suivre son rêve, quand on voit comment les librairies sombrent les unes après les autres, dévorées par les grandes surfaces et autres sites de ventes par correspondance. métier libraire, spécialisées en littérature policière et en littérature sud-américaine (oui, c'est pas incompatible). créatrice du blog www.thisbookisnotonmylist.com (elle aime pas faire court). statut civil elle n'a pas vraiment le temps d'y penser, elle a une carrière à gérer, et un frigo à remplir. elle se trouvera une copine plus tard (ça fait six ans qu'elle se dit ça, quand même). traits de caractère réfléchie ; nerveuse ; perfectionniste ; cérébrale ; discrète ; organisée ; réservée ; tatillonne ; logique ; honnête. livre de chevet cent ans de solitude de gabriel garcia marquez. idole mario vargas llosa, pérou oblige. groupe emma bovary. avatarsheila marquez.

♢♢ no more hiding who i wanna be, this is me.
I. aussi improbable que cela puisse paraître pour une libraire (littéraire par excellence ?), le truc d'alma, ce sont les chiffres. les chiffres la calment, l'apaisent. ils tournent en boucle dans sa tête, calcul mental et statistiques, dates historiques et pourcentages. la logique des maths l'aide à donner une certaine, approximative, logique à la vie. II. alma est tellement stressée que son ostéopathe a préféré jeter l'éponge. il se brisait les pouces à tenter de dénouer les nœuds dans son dos. il lui a conseillé l'homéopathie. elle préfère le cannabis. III. alma a une moto, une belle bécane que son père a retapé pour ses dix-huit ans. elle l'enfourche le week-end pour sillonner les routes, le vent dans les cheveux, ce sont ses instants de liberté. en ville, elle préfère quand même le vélo. IV. alma a deux chats de gouttière, qu'elle a appelé macondo et soledad, et un crâne en plastique sur sa table de nuit, prénommé tchaïkovski. elle lui parle, parfois. V. alma aime le corps des hommes et l'odeur des femmes. il n'y a qu'avec elles qu'elle s'imagine finir sa vie. elle a abandonné l'idée de définir sa sexualité. trop de paramètres, trop d'inconstances. VI. l'espagnol est la langue maternelle d'alma. malgré les années, l'accent latin ne l'a jamais quittée, lorsqu'elle se met à parler anglais. elle parle aussi le mapudungun, la langue du peuple de sa mère. mais c'est plus anecdotique qu'autre chose, parce que c'est pas à madison qu'elle peut vraiment le pratiquer. VII. alma est végétarienne depuis dix ans maintenant. elle fait les choses dans les règles, évidemment. elle est consciente de chaque nutriment que contient ses plats. ça désespère sa mère et force l'admiration de son médecin. VIII. son père a immigré illégalement aux états-unis alors que sa mère était déjà enceinte d'alma. elles l'ont rejoint trois ans plus tard, et pendant sept, ils ont vécu dans la clandestinité. alma parle très peu de cette période, mais ce dont elle parle beaucoup, c'est de l'admiration qu'elle éprouve pour ses parents et pour tout ce qu'ils ont traversé. IX. comme tout péruvien qui se respecte, alma n'aime pas les argentins. c'est comme ça. et si vous lui demandez pourquoi, elle vous calera entre les mains un texte de vargas llosa. il l'explique beaucoup mieux qu'elle. X. alma porte des chemises trop amples et des jeans trop serrés, elle est incapable de coiffer ses cheveux correctement, mais son maquillage est toujours à point. si ses chaussettes et ses sous-vêtements sont dépareillés, au moins ses ongles de pieds sont-ils vernis. elle est tellement calme au quotidien, on ne voit pas qu'elle panique, que lorsqu'elle panique pour de vrai, en grand, tout le monde panique avec elle. au moins, dans ces moments-là, elle se sent vraiment, vraiment moins seule.

two worlds collide:

♢♢ all the past is just a lesson that we've learned.

Les derniers rayons du soleil crament le mur de pierres de la brasserie. Alma, ce sont ses doigts qui crament. Absorbée par sa lecture, elle en a oublié sa cigarette. Elle l'écrase dans le cendrier, remonte ses lunettes de vue sur sa tête. Elle pourrait les laisser pendre contre sa poitrine, puisque les branches sont retenues par une chaîne dorée, kitsch au possible. Ça fait ringard, tout le monde le lui dit, mais au moins ne les perd-t-elle pas n'importe où. Alors elle les remonte dans sa chevelure, encore une fois indomptée, et tant pis si dans cinq minutes elle a encore oublié où est-ce qu'elle les a mis. Elle n'aura qu'à suivre la chaîne d'or pour les retrouver. Elle referme son livre, page cornée, boit une gorgée de son verre de Gato negro, et soupire dans l'air du soir. Le livre désormais abandonné sur la table est la dernière publication de Abbott Publishing, une épreuve reçue à la librairie le matin même. Comme d'habitude, le style est bon, le travail d'édition remarquable. Alma ne pourra jamais reprocher à la maison d'édition de mal faire son boulot. Mais comme d'habitude, ce livre-là ne rentre pas dans leur ligne de vente. La vagabonde est une librairie spécialisée en littérature étrangère et en livres de voyage, et les histoires d'amour érotico-romantiques, aussi bien écrites puissent-elles être, ne concernent pas vraiment leur clientèle. Et donc, comme d'habitude, Alma se retrouve face à ce choix cornélien consistant à promouvoir la production locale ou à rester fidèle aux valeurs de la librairie. Pourtant, leur banquier ne serait pas contre un best-seller ou deux, et ce livre en a toutes les qualités. Alma s'en arracherait les cheveux, elle préfère se rallumer une cigarette et remplir de nouveau son verre. Et lorsque son téléphone sonne, elle cherche méthodiquement ses lunettes dans son sac, avant d'abandonner la bataille.
paolo - almaaaa, tu fais quoi ?
alma - je lis, et je bois. ou je bois et je lis. je n'ai pas encore défini ma priorité.
paolo - arrête de boire toute seule et rejoins nous ! t'es libraire, t'as toute la journée pour lire, c'est pas la base de ton boulot ?
Alma rit, et ne dit rien. Elle la connaît, la blague, elle l'entend à longueur de journée. Elle le contredira un autre jour. Ce soir, elle l'a décidé, rien, absolument rien ne la fera sortir de son calme olympien, ni ses lunettes perdues, ni les blagues de son cousin. La tâche de rouge sur son chemisier blanc, par contre ...