(hey heart, on the road again)

♢♢ no more hiding who i wanna be, this is me.
fume une cigarette en six minutes exactement, le temps d'écouter ses deux morceaux favoris tirés d'une compil de jazz, en souvenir de son adolescence passée dans le fenil à bécoter ricky près de la radio qui moisit là-bas, sur le foin. il se souvient encore des ardents baisers échangés sur du sinatra, l'habitude lui est restée. ﹎ grumpy cat boit son café noir et froid, ça stimule son imagination auparavant si fructueuse. elle est un peu bridée depuis qu'on l'a tabassé dans une impasse près d'un restaurant chinois. ﹎ ce soir, il l'a gardé en mémoire. il sortait de chez lui, main dans la main avec ce gars-là qui s'est assis dans son cœur comme on s’assoit sur une chaise et comme on en tombe, il en était tombé amoureux. le titre du film qu'ils sont allés voir lui échappe, mais il se souvient très bien de leur trajet jusqu'au dragon d'or, boui-boui asiatique. une femme les a accosté, ne demandant qu'un peu de feu pour sa cigarette. elle portait ces bas qui étouffent les jambes en leur donnant des airs de saucissons dans un filet étroit. aussitôt avait-il fouillé dans sa sacoche qu'on la lui arracha des mains. s'en suit une concise course-poursuite qui se termina brutalement au pied d'un mur de briques. les voleurs s'armèrent d'abord de cadavres de bouteille qui traînaient à leurs pieds. lui, sans défense, sans allié - l'amant ne l'avait pas suivi. jo se retrouva bien vite enserré, l'ennemi dansant autour de lui dans une parade inquiétante, menaçante. négociations vaines, les rapaces le griffèrent en premier lieu l'avant-bras (là où sont encore dessinées ses cicatrices). puis après trois coups cadencés dans la mâchoire, ils lui infligèrent le coup de grâce à l'aide d'une barre en métal, à l'arrière du crâne. l'impact le fit perdre aussitôt connaissance, heurtant le pavé dangereusement. heureusement, il n'a pas laissé la vie couler pourpre entre les dalles. alors que les agresseurs ont fui, un employé chargé de sortir les poubelles du restaurant l'a vu et a averti une ambulance. ﹎ bien qu'il soit aujourd'hui à nouveau sur pieds, il garde de cette scène violente des séquelles motrices, intellectuelles et émotionnelles. sa main droite qui s'était enrayée, répond maintenant à quelques commandes. il est aussi depuis atteint d'alexie pure causée par une lésion dans le gyrus fusiforme de l'hémisphère gauche de son cerveau (l'aire cérébrale de la lecture est hors-service), qui se caractérise par une totale incapacité à reconnaître les assemblages de lettres, donc de lire ou de réécrire. il a néanmoins gardé la faculté d'écrire spontanément. les médecins disent qu'avec une intense rééducation, il pourra relire de nouveau, mais jamais plus de manière fluide et automatique. ﹎ il a renoncé à son permis de conduire (qui ronfle dans une boîte à chaussures, boîte à souvenirs), se déplaçant à présent principalement en skate et garde un goût amer à chaque fois qu'il le prend parce qu'il a l'impression d'être encore un gosse, incapable de prendre le volant sans risquer de tuer quelqu'un. ﹎ les murs de sa chambre sont couverts d'un papier peint antique et hideux où plus jeune, il avait dessiné les planètes, leurs habitants et ses super-héros favoris dont son père, marc dit "marc-page", le mutant qui tue les vilains à coup d'encyclopédies dans la figure. il se rappelle les après-midis d'enfance entre les rayons de la bibliothèque, à lire en synergie avec son père. ﹎ son frère, sa sœur et lui, c'est un peu le golden trio. peu d'écart entre les âges font qu'ils ont marché ensemble depuis toujours, n'ont jamais plié malgré les obstacles et qu'ils forment cette équipe de choc, cette famille soudée. simplement, ils prennent des routes différentes et ne se retrouvent plus aussi souvent qu'avant. l'amour ne s'évanouit pas pour autant. ﹎ on lui reproche d'être trop désordonné, de toujours tout laisser traîner. sa seule excuse est qu'il se sent mieux dans le chaos, qu'il ne supporte pas quand tout est carré, millimétré, prévu et bien cadré. ﹎ il n'a, contrairement à toute sa famille, jamais eu de véritable don pour l'écriture. son frère a le clavier aiguisé, sa sœur donne des cours de lettres et lui n'est capable d'écrire que des poèmes cracras. il s'est néanmoins découvert une passion pour le dessin très jeune. il a même eu l'occasion de faire quelques planches de bandes-dessinées, aussitôt écoulées, aussitôt oubliées. ﹎ vite désintéressé, c'est un amant volage qui marche au coup de cœur, au coup de foudre. c'est bien pourquoi il a du mal à s'attacher à la majorité des gens qu'il rencontre et qu'à une minorité, il donnerait sa vie. les battements de son cœur cherchent une mélodie parfaite, à s'unir à un autre tambour, peu importe de quelle peau il est fait. c'est ainsi qu'il fonctionne, il tombe amoureux des belles âmes, plus que des beaux devants féminins ou que des beaux derrières masculins.

♢♢ all the past is just a lesson that we've learned.
La nébuleuse s'échappe de ses lèvres gercées alors que le tourne-disque lui murmure ces paroles qui le transportent hors d'ici, hors du temps. Il peint les nuages violacés sur une étendue purpurine aux cris des trompettes, chaque coup de pinceau glisse sur la toile aussi âpre que la voix de la Lady. Il est pris d'une migraine atroce qui se cogne aux parois de sa boîte crânienne, les yeux papillotent quand il remonte ses lunettes le long de son nez. Un vertige. Il s'accroche à son tabouret avec la main qui tient la palette, celle qui n'est pas vacillante comme la flamme d'une bougie. La pluie frappe à sa fenêtre, noie les quelques roses qu'on y a suspendu. Il crache encore une épaisse fumée qui s'est installée déjà dans la pièce, lui tient compagnie. Il reprend, mais sa main l'abandonne, lâchant le pinceau au sol. Le rouge des poils éclate sur le beige du parquet. Tempes enflammées, il donne un coup violent dans le chevalet qui se laisse choir. Il écrase son mégot sur le papier peint. Se lève encore tout fébrile, fulminant. Énième échec qui laisse l'amertume couler dans sa gorge comme une traînée de lave. La porte s'ouvre sur le carnage, il tombe sur son lit et se cache la tête sous son oreiller une main pendante au bord du matelas. Sa mère aperçoit les dégâts et laisse échapper un soupir. Mon cœur, dit-elle sur un ton édulcoré, une tasse fumante à la main. je t'ai apporté une tisane. Elle s'assied près de lui, pose une main tiède sur sa jambe. Il repasse sa tête au-dessus du coussin, mais n'ose pas croiser son regard, un peu honteux. Je rangerai. Elle se relève, posant le mug près d'une oeuvre de Suétone sur la table de chevet, s'emparant du livre au passage. Tu comptes le donner aussi ? Il hoche la tête de droite à gauche en s'humectant les lèvres. Non, celui-ci va dans le carton avec un post-it rouge. Grand-mère voulait le lire. Elle rit, bêtement. Son fils n'avait jamais été aussi organisé, ni aussi généreux. En se levant, elle lui adressa un dernier regard plein de tendresse comme pour exprimer tout ce qu'elle n'avait pas su dire à son fils en vingt-trois années. Jon esquisse un sourire, discret. Ménage-toi, elle marque une pause. et essaie d'arrêter de fumer, je te l'ai déjà dit cent fois.

en construction.